Agnès CALLU et Hervé LEMOINE,
Le Patrimoine sonore et audiovisuel français : entre archives et témoignage, guide de recherches en sciences sociales, [préfaces d’Emmanuel Le Roy Ladurie et de Jean Cluzel, postface de Jacques Rigaud], Paris, Belin, 2005, 7 volumes, 2500 p.,
Prix Osiris 2005 de l’Institut de France, Prix de la recherche 2005 du Comité d’histoire de la radiodiffusion, Prix spécial du jury de l’Inathèque de France 2005.

Pensée comme une somme de références visant à établir une cartographie raisonnée des collections sonores et audiovisuelles françaises, cet ouvrage propose, pour la première fois, à l’échelle nationale, un millier de structures patrimoniales, associatives, universitaires, etc. détentrices d’un patrimoine qui, depuis les dernières décennies, intègre le champ de la recherche puisqu’il acquiert, par la critique et l’exploitation qui en est faite, le statut de matériau historique. Une cartographie générale des fonds, établie par secteurs géographiques puis organisé par branches structurelles : les archives, les médiathèques, les musées, les universités et lieux de mémoire, les centres de documentation, les services d’information, les pôles audiovisuels et les chaînes et antennes médiatiques, se présente sous la forme de quatre volumes. Le Guide est introduit par une mise en perspective historienne reposant sur l’examen “ sur pièces ” de la documentation mise à jour. Il se clôture par un tome biface : une histoire des techniques cinématographiques, sonores et audiovisuelles qui, nées avec le siècle, portent les ressources du temps présent et un précis juridique espérant, sinon déméler l’écheveau des textes législatifs français et européens, accompagner tous ceux qui voudront entendre et voir des extraits de ce patrimoine. Un index interactif, conçu comme une aide à la recherche et un DVDrom, alimenté principalement par les collections de l’Institut des archives sonores et celles de l’E.C.P.A-D, finalisent l’ensemble. Cet ouvrage milite pour un contenu éditorial encyclopédique et transverse ; il espère le décloisonnement des disciplines et la mutualisation des savoirs ; il souhaite le rapprochement intellectuel d’institutions nationales et d’initiatives délocalisées, parfois privées.


Pour en savoir plus : www.editions-belin.com

 

Discours prononcé par Agnès Callu
lors de la remise du Prix spécial du jury de l’Inathèque de France 2005 le 13 décembre 2005

Monsieur le Président,
MM. les Membres du jury,

Avec beaucoup de sincérité, je voudrais vous remercier, par le Prix que vous avez accepté de nous décerner ce soir, de vous être saisis de cet opus magnum, de ce Guide du Patrimoine sonore et audiovisuel français, fruit d’un plan de travail quinquennal.
Saisissement, par l’intérêt général, c’est-à-dire l’intérêt supérieur, l’intérêt collectif, l’intérêt pour tous, que vous lui reconnaissez.
Saisissement, au sens anthropologique du terme, car vous vous en saisissez comme d’un objet historique, et c’est sa vocation.
Les enjeux de cette somme sont évidents : démontrer, par la valeur et la force de l’exemple, la scientificité accolée aux matériaux audiovisuels pour lesquels, dans le domaine des sciences sociales, l’heure de la réconciliation, celle de l’analyse comparée car apaisée, a sonné : les flux cinématographiques, radiophoniques, télévisuels, en un mot les captations live du contemporain, décryptées par les historiens des médias, sont enfin rapprochés des récits de témoins, des expériences et savoirs de l’AUTRE qui, intégrant a posteriori le JE dans le dispositif critique, sollicitent, depuis longtemps, les chercheurs voués à l’enquête de terrain.
Ce livre propose un état du présent historique, lieu d’une temporalité élargie contenant “ la mémoire des choses passées et l’attente des choses à venir ” : un temps présent, capturé par des médias nés et massifiés avec le siècle ; un temps présent, à écouter et à voir dans la figure du testis, ce témoin oculaire et auriculaire qui a vu, entendu, agi et, dans l’inévitable reconstruction, raconte.
Cette vision globale espère combler les écarts, voyant dans les productions audiovisuelles du passé et l’audiovisuel, support de trajectoires de vies mises en parole et en gestes, non pas des adversaires mais des camarades, marqués intrinsèquement par la puissance de l’outil médiatique et dont la divergence des moments de création, loin de constituer un empêchement dirimant, autorise le temps long, donc la vue large.
Le philosophe Gaëtan Picon a proposé à la fin des années 50 un Panorama des idées contemporaines, un autre de la nouvelle littérature française. Très modestement, c’est un Panorama de l’audiovisuel que nous nous sommes employés à collationner.
Il a nécessité, par rigueur scientifique, l’exercice cartographique et topographique, greffé sur une enquête.
Une enquête nationale, une enquête quali/quantitative, une enquête participante, une enquête valide, une enquête honnête.
Enquête nationale car non seulement territoriale, c’est-à-dire non parisianiste ni jacobine mais ouverte aux spécificités d’un espace français quadrillé en zones culturelles dont les enracinements linguistiques et historiques sont déterminants, mais aussi décloisonnée car elle édicte des postulats interdisciplinaires et accueille des profils protéiformes : organisations grandes et petites, organisations publiques ou privées, organisations à l’ambition scientifique ou insérées dans le tissu social, organisations patrimoniales ou formatées pour la diffusion.
Enquête quali/quantitative. Elle est qualitative quand elle signale le moins bien, soulignant, dans le même temps l’exceptionnel, un exceptionnel qui s’incarne dans des unica retrouvés : les “ daguerréotypes de la parole ” ou les films Lumière, mis en collections par la passion du dire ou du représenté, mais plus encore, les corpus juxtaposés donc signifiants qui, par la force d’un livre à thèse, quittent l’éclatement géographique, sectorisé voire sectaire.
Elle est quantitative car l’outil informatique y a été et est référentiel. Référentiel comme modus operandi ; référentiel au titre de levier statistique, celui qui permet le rapprochement, la confrontation, les frottements, bref l’exercice du métier d’historien.
Enquête participante car jamais elle ne fut comprise comme un intermédiaire technique mais toujours comme un instrument de dialogue. Chronologie parallèle, interchronologie. Cinq ans de Guide, cinq ans de séminaire à Sciences-po sur les mêmes brisées et intersections fondamentales entre les deux champs : l’enquête nourrissait, infléchissait, tournait, inversait, contrecarrait les tendances quand les hypothèses, intellectualisées, académiques, scolastiques parfois, solidifiaient, consolidaient la charpente du questionnement.
Enquête valide – son seuil de représentativité le dit – car elle a accepté d’être testée “ à chaud ”. Effectivement, l’exercice paresseux aurait consister à livrer “ brut de décoffrage ” des matériaux s’offrant, nus, sans apparat critique à l’analyse historienne.
Or, sur deux sujets recteurs pour l’histoire du XXème siècle, la plus-value de la source audiovisuelle s’impose, incontestable : qu’il s’agisse des mutations sociétales pensées en termes relationnels : villes versus campagnes, stabilité/marginalité, décideurs/ “ France d’en bas ”, engagement/passivité ou que soient évoqués les conflits aux mémoires concurrentes et concurrentielles qui reconvoquent l’antithétisme des binômes “ boches ”/poilus, résistants/collaborateurs, pour ou contre l’Algérie, le Vietnam, le Golfe, le Rwanda ou l’Irak, chaque fois, la documentation audiovisuelle, produite en temps réel ou fabriquée dans l’après, réoriente le regard donc la multiplicité des interprétations.
Enquête honnête enfin, car elle admet ne clôturer rien, affirmant tout au contraire s’engager dans l’avenir.
Un avenir scientifique quand la demande sociale est créée, désignant aux historiens les champs à couvrir : aussi, par exemple, les classes moyennes sont-elles sous-questionnées quand les plus pauvres ou les plus riches, dans les emprises de catégories livrées par le marxisme d’avant 68, sont encore sur-questionnées. Avenir scientifique également puisque des rapprochements intellectuels et donc structurels sont espérés : on ose imaginer, à court et moyen terme, la concrétisation d’un partage des savoirs et celle d’une mutualisation des compétences, hors dispositif, hors disciplines, hors chapelles.
Un avenir technologique parce que la cartographie est le socle de l’identification, l’identification, le socle de la conservation, la conservation, l’espoir d’un transfert numérique réussi dès lors que prospectif, modélisé, raisonné.
Un avenir politique, pourquoi pas ?, car ce travail espère participer à l’interpellation des pouvoirs publics en surlignant l’exception culturelle audiovisuelle française, en rappelant les devoirs envers un patrimoine à préserver au nom des principes exigeants de l’Héritage et de la Transmission.Alors, merci infiniment à l’Institut national de l’audiovisuel et à son Président, M. Emmanuel Hoog, de partager avec nous ce “ goût de l’archive ” et d’accompagner cet ouvrage en le récompensant d’un Prix, un prix qui nous honore quand il porte en lui les fondamentaux d’une institution, l’INA, dont la novation scientifique et technologique trace aujourd’hui une ligne décisive dans le paysage patrimonial français.
Je vous remercie.

Agnès CALLU
13 décembre 2005