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Discours
prononcé par Agnès Callu
lors de la remise du Prix spécial du jury de l’Inathèque
de France 2005 le 13 décembre 2005
Monsieur
le Président,
MM. les Membres du jury,
Avec beaucoup de sincérité, je voudrais vous remercier, par le
Prix que vous avez accepté de nous décerner ce soir, de vous être
saisis de cet opus magnum, de ce Guide du Patrimoine sonore et
audiovisuel français, fruit d’un plan de travail quinquennal.
Saisissement, par l’intérêt général, c’est-à-dire
l’intérêt supérieur, l’intérêt
collectif, l’intérêt pour tous, que vous lui reconnaissez.
Saisissement, au sens anthropologique du terme, car vous vous en saisissez comme
d’un objet historique, et c’est sa vocation.
Les enjeux de cette somme sont évidents : démontrer, par la valeur
et la force de l’exemple, la scientificité accolée aux matériaux
audiovisuels pour lesquels, dans le domaine des sciences sociales, l’heure
de la réconciliation, celle de l’analyse comparée car apaisée,
a sonné : les flux cinématographiques, radiophoniques, télévisuels,
en un mot les captations live du contemporain, décryptées
par les historiens des médias, sont enfin rapprochés des récits
de témoins, des expériences et savoirs de l’AUTRE qui, intégrant
a posteriori le JE dans le dispositif critique, sollicitent, depuis
longtemps, les chercheurs voués à l’enquête de terrain.
Ce livre propose un état du présent historique, lieu d’une
temporalité élargie contenant “ la mémoire des choses
passées et l’attente des choses à venir ” : un temps
présent, capturé par des médias nés et massifiés
avec le siècle ; un temps présent, à écouter et
à voir dans la figure du testis, ce témoin oculaire et auriculaire
qui a vu, entendu, agi et, dans l’inévitable reconstruction, raconte.
Cette vision globale espère combler les écarts, voyant dans les
productions audiovisuelles du passé et l’audiovisuel, support de
trajectoires de vies mises en parole et en gestes, non pas des adversaires mais
des camarades, marqués intrinsèquement par la puissance de l’outil
médiatique et dont la divergence des moments de création, loin
de constituer un empêchement dirimant, autorise le temps long, donc la
vue large.
Le philosophe Gaëtan Picon a proposé à la fin des années
50 un Panorama des idées contemporaines, un autre de la
nouvelle littérature française. Très modestement,
c’est un Panorama de l’audiovisuel que nous nous sommes employés
à collationner.
Il a nécessité, par rigueur scientifique, l’exercice cartographique
et topographique, greffé sur une enquête.
Une enquête nationale, une enquête quali/quantitative, une enquête
participante, une enquête valide, une enquête honnête.
Enquête nationale car non seulement territoriale, c’est-à-dire
non parisianiste ni jacobine mais ouverte aux spécificités d’un
espace français quadrillé en zones culturelles dont les enracinements
linguistiques et historiques sont déterminants, mais aussi décloisonnée
car elle édicte des postulats interdisciplinaires et accueille des profils
protéiformes : organisations grandes et petites, organisations publiques
ou privées, organisations à l’ambition scientifique ou insérées
dans le tissu social, organisations patrimoniales ou formatées pour la
diffusion.
Enquête quali/quantitative. Elle est qualitative quand
elle signale le moins bien, soulignant, dans le même temps l’exceptionnel,
un exceptionnel qui s’incarne dans des unica retrouvés
: les “ daguerréotypes de la parole ” ou les films Lumière,
mis en collections par la passion du dire ou du représenté, mais
plus encore, les corpus juxtaposés donc signifiants qui, par la force
d’un livre à thèse, quittent l’éclatement géographique,
sectorisé voire sectaire.
Elle est quantitative car l’outil informatique y a été et
est référentiel. Référentiel comme modus operandi
; référentiel au titre de levier statistique, celui qui permet
le rapprochement, la confrontation, les frottements, bref l’exercice du
métier d’historien.
Enquête participante car jamais elle ne fut comprise
comme un intermédiaire technique mais toujours comme un instrument de
dialogue. Chronologie parallèle, interchronologie. Cinq ans de Guide,
cinq ans de séminaire à Sciences-po sur les mêmes brisées
et intersections fondamentales entre les deux champs : l’enquête
nourrissait, infléchissait, tournait, inversait, contrecarrait les tendances
quand les hypothèses, intellectualisées, académiques, scolastiques
parfois, solidifiaient, consolidaient la charpente du questionnement.
Enquête valide – son seuil de représentativité
le dit – car elle a accepté d’être testée “
à chaud ”. Effectivement, l’exercice paresseux aurait consister
à livrer “ brut de décoffrage ” des matériaux
s’offrant, nus, sans apparat critique à l’analyse historienne.
Or, sur deux sujets recteurs pour l’histoire du XXème siècle,
la plus-value de la source audiovisuelle s’impose, incontestable : qu’il
s’agisse des mutations sociétales pensées en termes relationnels
: villes versus campagnes, stabilité/marginalité, décideurs/
“ France d’en bas ”, engagement/passivité ou que soient
évoqués les conflits aux mémoires concurrentes et concurrentielles
qui reconvoquent l’antithétisme des binômes “ boches
”/poilus, résistants/collaborateurs, pour ou contre l’Algérie,
le Vietnam, le Golfe, le Rwanda ou l’Irak, chaque fois, la documentation
audiovisuelle, produite en temps réel ou fabriquée dans l’après,
réoriente le regard donc la multiplicité des interprétations.
Enquête honnête enfin, car elle admet ne clôturer
rien, affirmant tout au contraire s’engager dans l’avenir.
Un avenir scientifique quand la demande sociale est créée, désignant
aux historiens les champs à couvrir : aussi, par exemple, les classes
moyennes sont-elles sous-questionnées quand les plus pauvres ou les plus
riches, dans les emprises de catégories livrées par le marxisme
d’avant 68, sont encore sur-questionnées. Avenir scientifique également
puisque des rapprochements intellectuels et donc structurels sont espérés
: on ose imaginer, à court et moyen terme, la concrétisation d’un
partage des savoirs et celle d’une mutualisation des compétences,
hors dispositif, hors disciplines, hors chapelles.
Un avenir technologique parce que la cartographie est le socle de l’identification,
l’identification, le socle de la conservation, la conservation, l’espoir
d’un transfert numérique réussi dès lors que prospectif,
modélisé, raisonné.
Un avenir politique, pourquoi pas ?, car ce travail espère participer
à l’interpellation des pouvoirs publics en surlignant l’exception
culturelle audiovisuelle française, en rappelant les devoirs envers un
patrimoine à préserver au nom des principes exigeants de l’Héritage
et de la Transmission.Alors, merci infiniment à l’Institut national
de l’audiovisuel et à son Président, M. Emmanuel Hoog, de
partager avec nous ce “ goût de l’archive ” et d’accompagner
cet ouvrage en le récompensant d’un Prix, un prix qui nous honore
quand il porte en lui les fondamentaux d’une institution, l’INA,
dont la novation scientifique et technologique trace aujourd’hui une ligne
décisive dans le paysage patrimonial français.
Je vous remercie.
Agnès
CALLU
13 décembre 2005